mai
30
2012

« De l’externalisation des services à l’économie de l’usage »

Auteur: DLR

pipameL’économie de l’usage –ou l’art de faire payer un même objet plusieurs fois à plusieurs personnes grâce à une location au moment de l’usage, au lieu de vendre un produit à un seul consommateur– serait-il un modèle économique viable ? C’est le sujet d’une étude détaillée menée dans le cadre du programme du PIPAME* 2010-2011. Exégèse !…
Dans un contexte de raréfaction des sources d’énergie et de matière, l’idée de ne plus vendre un objet, mais de vendre la fonction qu’il remplit, ouvre la voie à un autre type de développement économique découplant croissance et consommation de ressources.
Un tel modèle baptisé « économie de la fonctionnalité » implique de remplacer la vente d’un ou de plusieurs biens et services par leur usage dans un contexte de prestation intégrée. Une telle approche modifie de façon radicale la relation entre les entreprises et leurs clients. Exemple parmi d’autres, depuis les années 2000, Michelin propose à ses plus gros clients une solution originale. Au lieu d’acheter des pneumatiques, le client s’acquitte d’une redevance au kilomètre parcouru. Il loue l’usage des pneumatiques (regonflage, entretien des sculptures, rechapage… etc.). Cette offre cible les transporteurs routiers possédant plusieurs dizaines de véhicules qui font de l’ordre de 100 000 km par an. En devenant responsable des pneumatiques chez ses clients, Michelin a non seulement diminué son coût de production mais il a également augmenté son chiffre d’affaires.
Avantages économiques : le passage d’un produit à un service est présenté comme un moyen pour accélérer le changement vers des pratiques et des économies plus durables. Les entreprises peuvent y gagner en compétitivité, en innovation et en positionnement stratégique. L’économie de la fonctionnalité reconfigure l’aire de jeu concurrentiel en substituant la compétitivité par les fonctions à la compétitivité par les prix. Ce qui signifie que le prix du produit et des matières premières n’est plus aussi déterminant qu’auparavant.
Cette logique nouvelle met en avant la « relation de service » construite avec chaque client, à qui est proposé un ensemble de « solutions », voire un service intégré, répondant à un ensemble cohérent de besoins.
L’émergence de cette logique de service est en phase avec plusieurs tendances lourdes d’évolution des économies développées : l’« orientation-client » toujours plus impérieuse de la production, les avancées progressives vers des modes de production plus « durables » ; l’importance toujours plus grande de l’économie numérique et de la dématérialisation qu’elle entraîne.
Ces évolutions conduisent à s’interroger, dans le cadre du PIPAME, sur une possible transformation en profondeur des règles marchandes, dans lesquelles l’échange deviendrait toujours plus immatériel et les notions de relations et de liens deviendraient centrales. C’est ce mouvement qu’on caractérise sous le vocable d’« économie de l’usage », reprenant l’appellation produite par le CAS (Centre d’Analyse Stratégique).
Les analyses présentées dans l’étude prennent appui sur le travail du groupe de « préfiguration » qui a été réuni récemment dans le cadre du PIPAME sur ce sujet ; ce travail a bénéficié des travaux de recherche déjà produits sur le thème, selon des appellations diverses : « économie des effets utiles », « économie de fonctionnalité », « économie du quaternaire », « âge de l’accès ».
En conclusion, il est permis de dire que l’économie de l’usage semble ouvrir des perspectives fortes de création de richesse, dans le respect des objectifs d’économie d’énergie et de matière qui sont aujourd’hui incontournables. Elle pourrait donc constituer un levier de croissance pour les pays industriels et une solution à la recherche d’un impossible « découplage » entre croissance et consommation de ressources finies. Dans un paradoxe qui n’est qu’apparent, l’économie de l’usage ouvrirait également un retour vers une culture véritablement industrielle, l’intégration de cette logique par l’entreprise se traduisant par une reconfiguration de ses processus internes pour donner la priorité à la qualité et à l’innovation permanente. Le concept ouvre ainsi vers une nouvelle définition de l’entreprise, voire une réinvention de l’industrie, vers un modèle nouveau qui verrait converger, sinon fusionner producteurs et distributeurs.

* À travers les études qu’il mène, le PIPAME (Pôle Interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations Economiques), assume un rôle de veille et d’anticipation auprès des décideurs (pouvoirs publics, grandes entreprises, réseaux de PME), auxquels il fournit un diagnostic, une expertise, des outils d’analyse et de compréhension des mutations en cours et à venir, au sein des secteurs clés de l’économie.

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